Les villes de Cuba |
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Baracoa |
Ville de bord de mer, à l’extrémité de la côte est et isolée. Depuis Santiago la route peine à la rejoindre. D’abord elle longe une mer qui, hormis sa couleur magique, n’offre pas grand intérêt. Ensuite elle vire au nord pour s’enfoncer dans la montagne. Que c’est long !
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Malgré son isolement Baracoa fut colonisée par les espagnols. Ils l’atteignirent par la mer et s’installèrent dans ces jolies maisons aux façades acidulées. Etonnant comme les teintes ont peu pâli avec le temps ! Je ne me suis jamais lassé de les photographier et ce que j’ai ramené en France est trop souvent idéalisé. Beaucoup ont fait de même. Ne passent à travers les objectifs que la beauté des alignements, que le charme des terrasses, que l’harmonie des tons. Tout ce qui est délabré, affadi ou construit actuel avec les moyens du bord, que le temps et le manque de finition n’épargnent guère, fut occulté. |
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Tout sauf peut être ce balcon à la femme triste. Son toit, je n’ose dire sa maison, est bâti sur le front de mer : le Malecon comme il faut dire à Baracoa. Il n’eut pas la splendeur ni la renommée de celui de La Havane mais il est là, modestement. Trop rare à Cuba dans les autres villes côtières comme on s’y serait attendu.
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L’œil du photographe, pas assez concentré sur sa quête de beauté, oublie parfois d’écarter les mailles de ce réseau électrique disgracieux pour capter la pureté du ciel. Il ne reste que câbles, poteaux et cylindres. Ce n’est pas demain la veille du jour où les services techniques de la mairie de Baracoa enterreront la lumière !
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Cuba ne serait pas Cuba si toutes les maisons de toutes les villes avaient l’aspect de celle-ci. Trop belle, trop neuve, elle ne cadre pas avec le reste. D’où vient l’argent qui a permis de la conserver et de l’entretenir ? Nous en verrons d’autres à Cuba, preuve que des fonds mystérieux traversent les embargos pour la sauvegarde du patrimoine…
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A Cuba la religion a longtemps été oubliée. Il paraît qu’aujourd’hui elle fait un retour remarqué au point d’être signalée par les guides touristiques. Alors, allons nous avoir plus de moyens pour entretenir ce patrimoine catholique ? Cela ne saute pas vraiment aux yeux des visiteurs et les églises restent bien tristounettes. Comme tout édifice de l’époque coloniale l’extérieur mérite partout de sérieuses réparations et l’intérieur de bons efforts de décoration. A Baracoa, Nini nous fit entrer dans la cathédrale Nuestra Senora de Asuncion. A part la Cruz de la Paara, érigée apparemment par Christophe Colomb lors de son arrivée sur l’île, rien d’autre n’attira mon attention. Pas plus pour Simone, par ailleurs si contente d’entrer dans les églises, qui jamais ne nous donna ses impressions sur cette visite. Je ne voulus rien y voir de plus et mon regard s’échappa à travers les ouvertures qui me donnèrent l’occasion de constituer ce triptyque. Sans me vanter, il mérite autant que ceux qu’auraient fabriqués les décorateurs d’autels si on leur en avait passé commande.
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Trois cocotiers, la mer peut être à l’arrière, le ciel bleu, un mur affreux à gauche, un bâtiment fonctionnel à droite, vraiment on se demande pourquoi j’ai sélectionné cette photo. Pour ne pas l’oublier justement car l’endroit est l’entrée du musée de Baracoa. Il en retrace l’histoire et est surtout présenté par un guide inoubliable. Daniel nous fit la visite directement en français. Comme son nom que je n’ai pas retenu, son père ou sa mère était d’origine française. De l’un il avait gardé la maîtrise de la langue, de l’autre un très fort accent troublant son message pour qui n’y était pas assez attentif. Il nous commenta cette visite avec un humour teinté de provocation à notre endroit mais aussi envers la révolution et ses symboles dont immanquablement les vitrines du musée regorgeaient. Bla bla bla pour Ernesto, bla bla bla pour Fidel, bla bla bla pour Raul ; les héros n’étaient pas, loin s’en fallait, l’important de la visite. Nous pensions qu’il prenait un risque à orienter ainsi ses propos. Je serais fort content si, les choses s’envenimant, je me retrouvais dans sa cellule sur l’île de la Jeunesse… Daniel nous conta quelques légendes et notamment celle d’un barbu de Baracoa à cause duquel beaucoup de malheurs accablèrent la ville. Nous en avions un dans notre groupe, François, le seul. Il prit quelques piques au passage et fut accusé tout au long du voyage du moindre contre temps. Pas de balade en train, c’était la faute à François le barbu. Pas de bateau, ce fut encore à cause de lui. Ceux de la révolution furent eux aussi victimes de railleries, tout en finesse. Si un délateur se fût trouvé parmi nous il aurait eu bien du mal à convaincre les juges des attaques verbales de notre guide. Il semblait en fait que cette mise en scène n’était montée que pour nous, seuls capables de comprendre chacune des allusions et d’en rire. Tel est l’esprit français qu’un personnage aux origines mêlés avait si subtilement excité. Sur la fin de la visite Daniel redevint sérieux. Il nous retraça la vie d’Henriette Faber, cette femme « en costume de bataille » que son destin amena à Cuba. Il y avait de l’émotion dans sa narration. Son accent en devenait moins troublant comme si les malheurs arrivés à l’héroïne le touchaient personnellement. Je ne reprends pas ici cette histoire. Que ceux qu’elle intéresse fassent comme moi et se plongent dans la lecture du livre d’Antonio Benitez-Rojo. Rappelons-nous : Un pays à visiter, des livres à lire. Il faut cela pour tirer du voyage le mieux qui fera de nous un peu plus que des touristes. |
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Il est indispensable qu’à un endroit de mon compte-rendu je place ces deux photos qui n’ont apparemment aucun rapport entre elles. C’est ici et en voici l’explication. Dès que je vis ces deux sujets je ne pu m’empêcher de penser à mon ami Félix qui aurait du être notre compagnon de voyage comme il le fut auparavant en d’autres parties du monde. ( Turquie, Egypte, Mexique, Pérou, Italie, Brésil ) Hélas ! Il avait à cette époque une mission professionnelle pour l’île de Taïwan. Seule Mireille devait venir à Cuba. Mais la destinée de notre ami regretté en décida tout autrement. Félix décédait quelques jours avant le départ d’une maladie dont aucun de ses proches n’avait soupçonné la gravité. Bien sûr, Mireille préféra rester en France. Comme je la comprends ! Je voudrais que l’on considère la présence de ces deux clichés comme un hommage à l’ami disparu ! De Turquie, Félix ramena des casquettes qu’il perdit. D’Egypte, du Mexique, du Pérou, d’Italie, du Brésil il en ramena aussi. Il les perdit également. Comment ne pas se souvenir de cette envie maladive de casquettes suivie aussitôt d’un détachement pour un effet dont finalement il n’eut jamais vraiment besoin. Entre mille manies, celle ci était à Félix et n’était qu’à lui. Donc, il aurait, sur cet étal, acheté une casquette révolutionnaire et l’aurait perdue … comme les autres. Quant à cet étrange mécanisme rencontré sur un trottoir longeant le Malecon de Baracoa, il eût trouvé sa place dans l’espèce de caverne d’Ali Baba qu’était le garage de Félix avant que Mireille ne s’en occupât. Il s’agit d’un embrayage à air, une invention absolument révolutionnaire dans un pays qui s’y connaît en révolutions. Ne nous laissons pas abuser par une quelconque irrégularité sur l’utilisation des réseaux hydrauliques du gouvernement et admirons plutôt l’ingéniosité de ce virtembois. J’imagine Félix en contemplation. J’entends ses commentaires admiratifs. J’entends ses explications techniques. Bien évidemment il faut cet embrayage pour cette pompe. Un couplage direct, quelle hérésie ! Ca tourne un moment et ça casse. Pourquoi ? C’est trivial. Jamais l’eau volée au gouvernement n’aurait assez de force pour remonter la pente et là, avec l’embrayage qui en plus refroidit le système, c’est bien mieux fait qu’à Versailles. Voyez, je tente l’impossible pour atteindre la virtuosité de mon ami. C’est peine perdue. Ô ! Félix, pourquoi avoir renoncé si brutalement à ce voyage qui eût, ne serait-ce qu’autour d’un embrayage à air, porté très haut cette admiration de l’ingéniosité humaine quand elle se trouve confrontée à la résolution de ses problèmes de survie ?
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Voilà pour Baracoa. Un souvenir inoubliable de cette cité à la fois discrète, à la fois glorieuse. Elle méritait assez que le car nous imposât ces longues heures de route depuis Santiago et jusqu’à Santiago.
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