Les villes de Cuba

 

 

               La Havane

 

 

 

          La faute à mes parents, je suis né en 1949. En 1969 j’ai arrêté de fumer. 2009 dans moins d'une année ! Je n’ai jamais repris depuis. Suis-je sauvé ?  Il y en a tant qui s’arrêtent plusieurs fois, incapables de s’empêcher de reprendre à la moindre occasion. Or, venir à Cuba en est une de premier choix. Le havane tentateur y offre son parfum extraordinaire ajouté à tout ce qu’il transporte de plaisir, de volupté, de goût de la vie qui, sans le cigare, ne serait qu’un passage intemporel. Le tabac de Cuba la met en suspension comme si fumer était une fin en soi, une autorisation donnée par cette plante exceptionnelle de croire aboutie une existence jamais maîtrisée. Comment résister quand tout autour de nous des fumeurs sans scrupules font pénétrer par nos sens en éveil, jusqu’à nos centres du plaisir, des senteurs extravagantes et exotiques ? Comme nous sommes loin des souvenirs de la dernière cigarette ! Et combien est petit le pas à franchir pour goûter le fruit que l’on s’interdit depuis tout ce temps !

Je n’ai pas cédé. J’ai remis à plus tard, peut être à jamais. Mais j’ai conscience d’être passé à côté de quelque chose de rare par pure forfanterie ou de crainte d’une addiction fatale et, cette fois irréversible, comme la vivent ceux qui ont arrêté plusieurs fois de fumer.

En perdant sa majuscule et en changeant de genre la ville est devenue un produit de consommation de luxe : un cigare.  A l’inverse le Malecon n’a guère profité d’avoir été élevé au rang de quartier d’une capitale. Quelle tristesse que ce front de mer, jadis si beau, aujourd’hui en ruine ! Comment a-t-on pu laisser la mer et le temps faire leur ouvrage dévastateur sur ces riches façades ? On dit que les cubains aiment à s’y promener. Nini ne nous en donna pas l’occasion, de peur sans doute que nous entendre encore et encore déplorer cette désolation. Comme je la comprends ! Mais aussi comme j’ai regretté de n’avoir pu disposer,  ne serait-ce que d’une heure, pour flâner sur ce bord de mer ! Bien sûr j’aurais ajouté du dépit à mon impression, mais, qui sait, avec un peu d’imagination, aurais-je peut-être été capable de reconstituer la splendeur du passé et capable de croire qu’un jour les autorités cubaines, aidées par les bonnes intentions de l’UNESCO, auront suffisamment de moyens  pour reconstruire à l’identique.

 

Oublions le tristement célèbre Malecon et entrons dans la ville par la place de San Francisco.  J’ai photographié ce bâtiment plutôt que l’église. Simone va m’en vouloir et je n’ai pas d’autre excuse à lui fournir qu’un vague sentiment d’ennui m’assaillant au moment de pénétrer dans la ville. Je m’attendais à y trouver beaucoup de délabrements déjà aperçus lors de notre premier passage au début du voyage et redoutais de ne pas comprendre l’ambiance de cette ville si célèbre. Ce fut effectivement long et la première photo de la bourse du commerce, immeuble somme toute assez laid, témoigne de mon état d’esprit.

Un autre témoignage est cette statue de bronze représentant un personnage, voyageur puis vagabond ayant eu son histoire avec la ville et dont chacun peut toucher le bout du doigt en faisant un vœu. On y croit et on mémorise cet instant en se faisant photographier. Je n’ai pas joué le jeu.

 

              

    

        

Pénétrant plus avant dans la ville, notre groupe arriva sur la place d'Armes qui est d’abord un vaste jardin et ensuite un cadre de bâtiments en assez bon état. L’impression de délabrement y est absente. On a même osé couvrir une partie avec de petits pavés en bois, comme si le bois n’était pas le matériau le plus sensible aux outrages du temps.

Comme ailleurs, à La Havane, d’autres îlots reconstruits laissent croire que la ville est belle et partout restaurée. Dedans tout est sauvegardé et rénové ; autour tout redevient ruine.

     

    

      J’espère qu’on appréciera le côté romantique de ce cliché. Je suis souvent attiré par les vues à travers les fenêtres ou ayant pour cadre une ouverture quelle qu’elle soit. J'espère toujours réaliser de beaux effets.

 

 

 

 

On voit souvent aussi à La Havane, comme en Espagne, des cours intérieures somptueuses. Avec leur jardin non moins somptueux, elles m’ont semblé être la dimension capitale des anciennes demeures coloniales que j’ai déjà décrites et sont souvent le siège de bureaux ou de restaurants. Je trouve intéressant que le passant puisse, sans entrer, y jeter un coup d’œil et en apprécier la beauté.

 

             

 

            

 
              

            Grâce à l’évitement du Malecon, nous avons eu du temps, toujours guidés par Nini, pour circuler à pied dans les rues de la capitale et pour nous attarder devant quelques immeubles colorés comme ceux ci. La visite des quartiers se fait ainsi le nez en l’air si bien qu’au bout d’un moment, surtout si l’on est guidé, on ne sait plus où on est et, sans les cailloux du petit Poucet, complètement désorientés. C’est alors s’enrichir de la géographie des lieux, de leur histoire et de leurs particularismes qui souffre au profit d’une flânerie inutile mais bien agréable. Qu’on ne m’en veuille pas, donc, de manquer quelques descriptions. Je vous renvoie pour cela aux excellents guides que chacun emporte avec soi et que je ne veux surtout pas recopier.

 

 

 

 

Parmi les îlots magnifiquement restaurés de la capitale il y a la Plaza Vieja. N’est-ce pas qu’elle est belle ?

 

 

Et puis, il y a le plus charmant des îlots avec son cocotier. Mais là doit s’arrêter l’évocation d’un disque de terre minuscule et désert surgissant au milieu d’une mer infinie pour revenir au centre de la place de la cathédrale au contraire très fréquentée.

 

 

         

           

 

       

Nini nous l’avait gardée pour la fin. Elle aura été tout au long du voyage une excellente professionnelle sachant gérer les situations les plus embarrassantes que génère toujours la conduite d’un groupe ( surtout dans un pays à l’infrastructure touristique hésitante ) et sachant aussi ménager ses effets de façon à nous faire découvrir les lieux progressivement, du pire au meilleur, du plus laid au plus beau, du plus banal au plus étonnant. Et, à La Havane, la place de la cathédrale est bien l’endroit qui étonne. Après avoir parcouru les rues de la ville je m’étais un peu réconcilié avec la capitale de Cuba mais sans vraiment comprendre ce que le monde entier lui trouve. En débouchant sur cette place admirable j’ai eu une révélation. Rien que pour elle le monde entier pouvait se jeter aux pieds de La Havane.

La couleur des bâtiments qui l’entourent n’est ni douce ni agréable. Nous sommes loin des  teintes coloniales trop attirantes qui finalement dégoûtent comme dégoûte la consommation excessive d’une crème glacée trop onctueuse. Les pierres rudes, rugueuses, grossières, épaisses, lourdes et grises des murailles et du pavement sont d’une grande laideur. De tels bâtiments, si riches fussent-ils, en alignement le long des boulevards et des avenues feraient une ville déprimante. Ce qui transforme tout c’est justement le bleu colonial, ce bleu splendide qui s’harmonise avec le ciel et qui rend à la fois onirique et chic le moindre quartier pourvu qu’il soit utilisé avec finesse, modération et intelligence. C’est le cas sur la place de la cathédrale. Ce subtil mélange qui surprend et force l’admiration la rend exceptionnelle.

 

 

     

       C’est la terrasse du restaurant où nous prîmes notre dernier repas cubain. Notre voyage était divisé en 3 groupes décalés d’une semaine. Nous y croisâmes, sans nous mélanger à eux, ceux du 3 ème groupe arrivés en dernier. Quel effet bizarre de rencontrer des collègues dans un pareil endroit !

 

La photo n’est pas bien cadrée. Un peu moins de pavement, un peu moins de parasols, un peu plus d’église et de clocher l’eût rendue plus intéressante mais eût masqué cette tour carrée d’une laideur manifeste au-dessus du restaurant. Construite là, elle rappelle ce que Cuba a beaucoup fait dans ses constructions. Elle disparaît dans ce bel ensemble ! C’est extrêmement troublant .

 

 

 

 

Et voilà la façade de la cathédrale. Est-elle vilaine avec ses colonnades, ses volutes et son porche étriqué ! Quel effet saisissant que cet édifice aussi repoussant sur cette place aussi séduisante. C’est lui qu’on vient voir. C’est lui qui donne son nom au lieu.

Et cette incompréhension représente une partie du mystère de La Havane.

 

 

 

Jeux d’ombre et de lumière, variété de bleus, sérénité de la scène photographiée : tout montre le plaisir qu’il y a à flâner sur cette place.

 

 

 

 

Ailleurs, ce grand bâtiment aux boiseries du même bleu pouvait rivaliser. Les matériaux utilisés sont bien trop lisses, bien trop nets, bien trop polis, bref…  bien trop conformes.

 

 

 

Qu’on me pardonne d’avoir réduit La Havane à sa seule place de la cathédrale. On comprendra que j’en suis réellement tombé amoureux. L’amour est aveugle. Il est aussi, hélas, bien trop exclusif car en matière de goût il n’en va pas comme des sentiments : il n’y a de honte ni à l’infidélité ni à la multiplicité.

 

 

Pour la matinée du dernier jour Nini nous avait donné quartier libre. Avec Simone nous avons jeté notre dévolu  sur un tour d’Habana vieja avec pour point de départ le théâtre et le capitole. Nous ne nous attardâmes pas devant ces deux édifices. Trop imposants, pas vraiment séduisants. La place de la cathédrale nous manquait déjà…

 

 

 

Le plan ci-contre montre notre parcours. Je l’ai mémorisé sur cet album afin que plus tard, quand nous retournerons à La Havane, nous nous souvenions par où nous sommes passés. Je n’ai qu’un espoir c’est de le refaire dans quelques années et d’y trouver des embellissements. Ce quartier possède des rues grouillantes, comme la très célèbre Obispo, qui ne demandent qu’à être nettoyées et réparées pour attirer encore plus de monde et à terme faire du centre historique un lieu de rencontre moderne qui aura su garder la trace de son glorieux passé.

Il y a aussi quelques rues où j’ai senti une certaine insécurité. Pas bon s’y promener la nuit. Comme disait Nini : Ca va changer.

 
   Comme l'itinéraire est effacé, j'énumère ici les rues et places où nous sommes passés:  Parque Central avec le théâtre et le Capitole, Obispo, Place d'Armes, 0'Relly, Tacon, Chacon celle qui m'a paru dangereuse, arrêt au musée de la révolution, Tejadillo pour terminer à la cathédrale où nous avions rendez-vous pour le déjeuner.

 

L’après-midi, tour de ville en vieille américaine et visite du musée du rhum.

Quelle honte de rentrer de Cuba sans une boîte de cigare, une bouteille de rhum ! C’est pourquoi Aline, après qu’elle eut comme nous tous goûté le Havana Club, acheta une bouteille. Elle en acheta deux autres à l’aéroport et eut beaucoup d’avis contradictoires avant de savoir s’il fallait les mettre en soute pour le retour en France. Entre La Havane et Paris elles voyagèrent en cabine. Elles durent regagner la soute entre Paris et Bordeaux. L’affaire fut un peu compliquée au moment de l’embarquement à Roissy. Mais, grâce à une employée fort aimable et à Arnaud qui nous prêta son sac à dos, nous pûmes enregistrer ce nouveau bagage sans faire la queue au comptoir et récupérer intactes nos bouteilles de rhum à Bordeaux. Il eût été regrettable qu’elles se cassassent ou fussent confisquées, car Aline réalise avec d’excellents cocktails inspirés d’el président de Guardalavaca ou autres mojitos.

 

J’ai laissé entendre que la capitale de Cuba était une ville mystérieuse. C’est parce que, on l’a compris, j’ai eu du mal à reconnaître tous les attraits qui ont fait sa réputation. Ce n’est pas un séjour de deux jours qui permet d’oublier la misère architecturale de cette ville. En fait, je n’ai fait qu’y penser. Cela a pollué la visite et m’a troublé l’esprit et le cœur au point de passer à coté de l’essentiel : l’âme de la ville.

Un retour à La Havane s’impose. Plus tard, quand les travaux auront avancé significativement.

 

 
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