e matin de notre journée en bateau il pleuvait toujours. La douche de la chambre était extérieure, luxe suprême tant qu'il fait beau et chaud. Mais dès qu'il pleut, il devient délicat
de régler la température de l'eau. La sensation d'une douche mi urbaine, mi nature est alors vraiment étrange !
Je ne pouvais à nouveau décommander Robert le pêcheur dont Michelin nous avait communiqué le numéro de téléphone toujours archivé dans la mémoire de mon portable. On ne sait jamais...
Tant pis ! Nous essaierons de passer entre les gouttes.
Base de départ : le port de pêche de Le François où nous retrouvâmes Robert qui nous accueillit en nous faisant patienter :
Il faut laisser passer ce grain avant d'embarquer
.
A voir le ciel si chargé, je me disais qu'un autre allait suivre et que derrière cet autre il y en aurait encore un et ainsi de suite durant toute la journée. Robert n'avait pas l'air de s'en
préoccuper; ce n'était pas lui qui allait se tremper à l'abri dans son poste de pilotage. Je commençais à croire les martiniquais plus tellement arrangeants, à peine courtois et seulement familiers...
Mais Robert possédait la science des nuages. Nous quittâmes bientôt le port avec une petite bruine qui acheva de nous réveiller. Et ce fut tout pour la journée. Notre navigateur, aussi à l'aise sur l'eau que dans le ciel, louvoyait pour éviter les grains. Un artiste du lagon, si arrangeant, si courtois et juste familier. Pas vrai Mamie Mougeot ?
En fait nous ne savions rien des endroits où le pêcheur allait nous conduire. Silloner le lagon : tel était la seule idée que nous avions de nos destinations. Il y avait bien la fameuse "Baignoire de Joséphine", dont bien sûr nous avions entendue parler sans en avoir une idée très précise.
Après une navigation sinueuse et rapide, Robert nous abandonna sur l'îlet Thierry. Personne sur cette langue de sable en apparence inhospitalière. Personne d'autre que la paruline jaune,
l'élénie siffleuse, le moqueur des savanes, le colibri huppé, le sporophile à face noire, le sucrier à ventre jaune, personne... quand tout à coup une escouade de bateaux chargés de plagistes
s'approcha de notre solitude. Julie en pleine observation des poissons dont Robert lui avait montré l'habitat se retrouva entourée d'humains grenouille
.
Elle regagna sa serviette et nous resserâmes les rangs.
Dans le lointain du paysage la montagne du Vauclin, point culminant du sud de la Martinique à 504 m, semblait rire de nos déboires touristiques tout en gardant pour elle avec bienveillance
les affreux nuages porteurs de pluie.
Quand Robert vevint nous chercher avec son treize vingt et un
je ressentit un certain soulagement. Et si il nous avait abandonnés, laissés comme des naufragés sur l'îlet Thierry !
Qu'aurions nous fait en attendant que les pirates des Caraïbes vinssent nous détrousser ? Quel sort nous auraient réservés les descendants de Francis Drake, François l'Ollonais,
Barbe Noire, Anne Bonny, Olivier Levasseur, Mary Read et de tant d'autres qui ont animé
ces mers, enchanté bien des enfances et inspiré tant de livres et tant de films ?
Sur le 1321 il y avait une famille. C'est fou ce que ces parages peuvent être fréquentés ! Mais nous n'avions pas encore tout vu...
Voici la fameuse Baignoire de Joséphine où il fallait se rendre pour prétendre avoir été en Martinique. Elle touche presque la barrière de corail à l'intérieur du lagon et n'a qu'une très
lointaine ressemblance avec un atoll idyllique que l'imagination se plaît à concevoir isolé et ensoleillé au milieu de l'océan reposé.
Robert répondit pour la 1321 ième fois à la sempiternelle question :
Elle venait souvent se baigner ici Joséphine ?
-Jamais.
- !? Alors pourquoi appelle-t-on cet endroit la Baignoire de Joséphine ?
- Parce ce qu'il a la forme d'un sabot et que Joséphine utilisait une baignoire sabot à la Pagerie et à Rueil Malmaison
Depuis que j'ai rencontré des martiniquais non seulement arrangeants, courtois et familiers mais aussi taquins, j'ai le sentiment que Robert s'était payé ma tête. Je préfère garder ce doute tellement poétique plutôt que de chercher partout la véritable explication de cette appelation historique donnée à ce haut fond au bord de la barrière de corail autant visité pour sa situation que pour son nom.
Il est aussi visité pour le rituel qui s'y est installé. On vient là pour boire le Ti Punch dans l'eau. C'est une coutume locale imaginée pour les touristes. Arrangeants, courtois, familiers,
taquins et...inventifs. Un brin blasé, Robert ne nous avait pas expliqué cela et, quand il nous proposa l'apéritif dans l'eau ou sur le bateau, nous préférâmes rester à bord.
Eh oui, nous sommes rentrés en métropole sans avoir goûté ce plaisir typique de la Martinique. Un oubli !
Après ce cérémonial manqué, nous demandâmes à Robert de nous emmener sur une île déserte, un îlet rien que pour nous trois. A considérer le nombre de structures mises en place pour balader les
touristes sur le lagon, toutes présentées à grand renfort d'annonces publicitaires, nous nous demandions si c'était encore possible d'obtenir cet isolement que nous avions à peine goûté au tout
début de la matinée. Oui, cela existait grâce à Robert qui évitait les encombrements nautiques aussi bien que les nuages menaçants.
En fait d'isolement, Robert nous raconta les péripéties d'une grande maison perchée sur un îlet au dessus de la mer. Jamais un propriétaire ne l'habita vraiment, ni Robert lui même qui un temps
s'était mêlé de cet imbroglio juridique. L'habitation a toujours et est toujours squattée par un couple, indélogeables de ces murs comme des touloulous de leur trou.
En chemin, je captais cette scène familière. Elle est souvent sur les publicités dont je parlais plus haut et veut donner une image des îles tropicales sereine, décontractée avec
un soupçon d'authenticité. Je l'ai modernisée avec le téléphone consulté avec autant d'application que met un homme d'affaire à relever ses mails dans les transports qui le conduisent
vers ses rendez-vous professionnels. Cette photo ne peut être prélévée sur la page, mais je peux vous la proposer à partir de 500 $...
J'ai placé en suivant une série de vues de l'îlet où Robert nous déposa et où nous restâmes une heure à paresser. Une heure délicieuse.
Les pêcheurs de Le François ne le sont plus vraiment. Pour certainement plus de revenus que la vente de leurs prises la plupart promènent les touristes. Ils se connaissent tous, se croisent souvent
sur le lagon et ont l'habitude de s'échanger leurs passagers au gré de leurs envies d'aller voir plus loin où de rentrer à la Marina. Sur le chemin du retour Robert aborda un collègue qui avait
besoin d'un transfert. Ce dernier nous accueillit avec ces mots :
Eh ! tu as quelque chose de blanc sur le front
et il se touchait le menton pour appuyer du geste son propos.
La passagère interpelée, qui ne se doutait pas d'un stratagème se frotta le menton.
Tu sais, nous en Martinique, le front nous l'avons là
continua le pêcheur en se touchant le haut de la tête.
Ce n'était rien qu'un petit jeu innocent mais il fit rire toute la galerie embarquée.
Après cela je repensais à Joséphine dans sa baignoire...
N'ayant pas suffisament de client pour composer un repas, Robert nous conseilla d'aller déjeuner chez Millo, sur le port et, n'étant plus avec nous, la pluie se remit à tomber.
Pour 25 euros seulement cet homme nous avait fait vivre une excellente matinée et fait partager sa connaisance des lieux, l'eau comme le ciel. Un magicien ! Et par chance il ne se passa
rien de fâcheux à bord : pas de panne moteur, pas d'incendie, pas de naufrage rien n'arriva de ce qui arrive chaque fois que je prends pied sur un bateau.
La gastronomie chez Millo ainsi que le service, toujours un peu lent, furent fidèles aux habitudes martiniquaises. Aline dit que les plats sont cuisinés et que c'est pour cela qu'il faut les attendre.
Acceptant cette remarque, je recommande cette table, avec la mésaventure de notre retour en Europe, je ne la recommande plus du tout...
A l'hôtel Cap Est Lagoon Resort & Spa une surprise nous attendait. Le personnel de service en chambre était en grève. Julie qui connaissait maintenant l'existence du code du travail avait entendu qu'une
nouvelle loi prévoyait de s'attaquer à ce gros machin au désavantage des salariés. Toute seule elle s'était mise en tête
de s'y opposer. Qu'y pouvions nous ? Rien. Il faut laisser s'exprimer la jeunesse qui s'inquiète pour son avenir. Il est si important pour elle de savoir ce que vont devenir ses indemnités prud'hommales
en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Nous croyions Julie rêvant sur le 1321, elle réfléchissait à tout cela et méditait ses moyens d'action.